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de trois pouces, et balance un corps fluet et long surmonté d’un visage que j’ai bien vu du premier coup, et que je mets en vedette dans mon portrait : c’est une lune ovalaire, fardée de blanc, découpée de longs yeux bridés comme il s’impose, tamponnée aux deux pommettes d’admirables disques d’un rouge carminé du dernier fatal. Les cheveux, lissés et collés, ont le noir bien connu de l’aile de corbeau, — qui est bleu ; ils se relèvent en arrière, se plaquent sur la large broche d’argent. Enfin, le cou possède évidemment ce « poli gras du suif épuré et figé… » (Livre des vers, ode dix millième…)

Au fait, je suis dix mille fois ridicule de me moquer ainsi. Ce visage, râclé à fond, laisserait voir un agréable champ de peau claire ; et, sous la robe droite mandchoue, les épaules et les reins se meuvent d’un élancé adolescent… Et vraiment ceci me distrait des formes grasses et de la petitesse dodue que revêt un peu trop la beauté chinoise du nord…

Je n’exprime évidemment aucun de ces divers sentiments. Je fais des gestes mandchous, appris de la veille, auprès du mari. Lui, est fier de mener sa femme en « Soirée Européenne ». Elle, très amusée de mes fourchettes à quatre dents, de mes couteaux, de mes verres, — de voir changer tant de fois d’assiettes pour si peu de services. Mais elle s’intéresse tout à fait au mauvais champagne que le père Leys et Cie m’a fourni, voici un mois, à des prix défiant toute surenchère.