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des yeux qu’il a fort beaux, sur le fonctionnaire, court et blond, gras, vif et rose, malgré les quarante-cinq années que portent ses bajoues et ses rides. Ils se sont tendu la main. Ils se croisent. Je reconduis pompeusement le fonctionnaire qui se retourne et, à mi-voix, désignant l’autre :

— Vous connaissez ce garçon ?

— Et vous-même ?

— Moi ? Oh ! pas du tout. Pas du tout.

Et il me promet de revenir, de voisiner, de m’aider dans ma « compréhension » du chinois.

La porte se referme à deux battants, les loquets de cuivre tintent. Je rentre, puis, à mon tour :

— Dites-moi, vous avez déjà rencontré ce « monsieur » ?

— Oui, je crois l’avoir vu chez mon père.

Et, avec un dégoût pudique assez amusant dans sa bouche jeune et bien faite :

— On prétend qu’il a des femmes chinoises.

— Eh bien ?

— Voulez-vous que nous nous mettions au travail ?

— Oui… Oui… c’est vrai… Il m’a annoncé son prochain mariage… Mais, j’y pense : comment diable un Européen peut-il « épouser » légalement une Chinoise ? Je croyais la chose interdite…

Mon professeur se détache du texte qu’il feuilletait avec beaucoup trop d’attention, et prend un air de dédain trop sérieux pour son visage.