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(Le papier en est d’ailleurs parfaitement ridicule : des fleurs simili-bleues sur un vert et rose sentimental. Une enveloppe moirée crème et beige alangui.) Cela commence par :

— « Mon cher Victor… (déjà ?) Je m’autorise de nos conversations antérieures pour te tutoyer, en prose à la chinoise, comme font, en vers, les bons amis. Je t’écris pour te dire que tu avais parlé juste : puisque tu m’avais questionné : est-ce qu’une Mandchoue peut aimer un Européen, et en être aimée ? Permets-moi de te dire que c’est possible et que je le ressens. Puisque tu t’intéresses à tout ce qui La touche, comme moi (« la » est précédé de la majuscule impériale), je m’empresse de te communiquer ce qui suit : Hier, trouvant qu’il faisait trop chaud, Elle eut l’idée de se promener ensemble (sic) sur la « Mer du Sud ». C’était le soir. Les derniers rayons du Soleil doraient le sommet de la Tour Blanche, et une légère brume couvrait le lac. Je me revois encore, habillé en mandarin de quatrième classe, assis près de sa chaise, derrière laquelle se tenaient deux eunuques et trois dames d’honneur, abandonné dans mes pensées au doux balancement du bateau impérial. Tout à coup, j’entendis derrière nous des coups de gongs et de tambours ; c’étaient des eunuques qui suivaient dans une autre barque, chantant des airs antiques, sans aucun rapport avec ceux que j’ai appris au théâtre de Ts’ien-men-waï, mais qui n’en charment pas moins…