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C’est possible, mais il a dû mal dîner : qu’est-ce que cette mine éteinte, et ces yeux battus ?… je suis sûr qu’il a pleuré. Il s’assied. Il ne dit rien. Je me garde d’interroger. Il veut parler… Alors j’interromps :

— Mon cher, nous serons mieux sous la vérandah, pour causer tranquillement… Pas dans la cour : il va tomber des cataractes ! Laissez desservir. Nous mettrons la lampe à l’autre bout, pour bien attirer les moustiques, et… Tenez, prenez la chaise-longue…

Il s’étend. Il ne dit rien. Il y a dans mon ciel noir un bouleversement tendu vers l’orage que nous sentons bien tous les deux. C’est pour cela que j’ai parlé avec douceur.

Il s’étend comme un enfant fatigué. Il dormirait tout de suite, là, s’il n’avait, — je le sens, — très envie de raconter son intrigue, sans doute parmi les Vierges de Ts’ien-men-waï… Je vois qu’on lui a fait de la peine !

Il dit enfin :

— J’ai reçu aujourd’hui une lettre qui me fait beaucoup de chagrin.

Si « elles » se mêlent d’écrire aussi !

— Mon père m’annonce qu’il va se remarier…

C’est vrai. Il a un père ; et je sais déjà la nouvelle. Eh bien ?

René Leys devine que la nouvelle ne me consterne pas. Pour me faire partager son émotion, il me parle de sa famille, il parle, de la même voix confidentielle qui, l’autre soir, ouvrait des portes au Palais !