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par nos appareils sensoriels. Interrogeons notre entourage et nous-mêmes. Parcourons les recueils spéciaux.

Le résultat sera de prime abord, pour les non-initiés, inconcevable d’invraisemblance, d’inattendu, de grotesque. Tout ce que peut créer un cerveau délirant en mal de conceptions tératologiques s’y est accumulé. D’où l’attitude défiante commune aux premiers explorateurs de ces contrées de l’esprit à l’atmosphère oppressante et trouble.

Que Rimbaud affirme « l’A » noir ; que Meyerbeer reconnaisse comme « pourpres » certains accords de Weber, cela est encore, aux âmes simples, tolérable. On passe tant de choses aux artistes !… Mais voici où le paradoxe commence : « Pincez une guitare, et aussitôt nous voyons une image colorée qui environne les cordes pincées », affirme un audito-coloriste[1]. — « Le dimanche m’apparaît blanc-gris, » disait Diamondi, calculateur prodige ; « le lundi, marron-clair… » Et la polychromie s’étendait à toute la semaine. Pour d’autres elle envahit le calendrier.

Puis les sensations gustatives s’en mêlent. L’olfaction s’y vient surajouter : « Le kirsch sonne furieusement de la trompette ; le gin et le whisky emportent le palais avec leurs stridents éclats de pistons et de trombones ; l’eau-de-vie fulmine avec les assourdissants vacarmes des tubas. »[2] Enfin, dernier terme, des matérialisations se précisent : un sujet particulièrement doué voit des « prières en forme de canapé[3] » et l’adverbe « où »

  1. Destouches : op. cit., pp. 16, 17, 18.
  2. J.-K. Hüysmans : À Rebours, p. 63.
  3. Aug. Lemaître : Audition colorée et phénomènes connexes observés chez les écoliers. In Rev. scientifique, 16 février 1901.