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les corrélations sensorielles avaient trouvé leur application littéraire[1].

Le mot mystérieux et total des Hébreux était « יהוה »[2], IEVE, et ce Verbe unique renfermait toute Science. Or les Initiés attribuaient à chacune de ses lettres une couleur déterminée. L’audition colorée n’avait pas attendu le trop fameux « Sonnet des Voyelles » pour illuminer la Kabbale[3].

Puis, sans arrêt possible à la civilisation Gréco-Latine où la Raison-maîtresse tolérait peu de pareilles subtilités, non plus qu’à notre dix-septième siècle en ce qu’il y eut de palinodie de l’antiquité, nous retrouvons, au dix-huitième, une tentative appliquée du phénomène resté jusque-là spéculation pure. Ce n’est plus un Mage, mais un Jésuite, qui l’exploite. Le P. Castel imagine son « clavecin oculaire » (1759). La théorie du bon Père est bégayante et ses comparaisons doucement puériles : Le Bleu est tonique, dans sa « Gamme des couleurs », parce que noir + blanc égale gris-bleu (?). Le Rouge est la quinte : pas d’explication cette fois. En pratique, c’est un instrument compliqué : cinq cents lampes, soixante verres colorés. Cavailhé-Coll n’ayant pas encore rénové l’art des organiers, le résultat fut déplorable. Mais le doux inventeur avait confiance. « Qui sait, » demande-t-il avec un geste d’emphase, « si le clavecin oculaire ne sera pas mis par la postérité au rang des arts nouveaux qui auront contribué à la Gloire du Siècle où nous vivons ? » L’idée était d’ailleurs pleine de philan-

  1. J. Combarieu : Les Rapports de la musique et de la poésie au point de vue de l’expression, 1893
  2. Lire de droite à gauche : Iod-Hé-Vau-Hè. IEVE et non IAVE. Mais toute traduction littérale est inexacte, car la Phonétique de l’hébreu ne comporte en réalité pas de voyelles, mais des « aspirations ».
  3. L’Initiation, août 1901 : « Son, lumière, couleur dans l’astral ».