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tique de troubles mentaux si elle se transforme en hallucination, obsession (catégorie B). C’est une question de degré, de juste mesure. Puis, d’une synesthésie à une autre, la valeur séméiologique, l’équivalent morbide varie considérablement. Si l’audition colorée est, nous l’affirmons, compatible avec la plus saine mentalité, la réciproque, au moins à l’état extériorisé, est plus inquiétante : les illusions et hallucinations visuelles sont relativement bénignes. Mais les hallucinations auditives annoncent des troubles sérieux. Nous devons d’ailleurs reconnaître qu’elles sont, parmi les synesthésies, d’une rassurante rareté.

C’est l’argument clinique et statistique que l’on doit, en premier lieu, opposer à M. Max Nordau. Mais il a porté la question sur le terrain de la haute biologie. Nous pouvons l’y suivre.

« Le développement naturel va toujours, de l’Unité à la diversité, énonce-t-il, et non au rebours. Le progrès consiste dans la différenciation et non dans le retour des êtres différenciés et d’une riche originalité à une archaïque gélatine sans physionomie…[1] »

  1. M. Nordau : Dégénérescence t. I. p. 313. Ainsi parlait Jéhovah « démiurge et souverain Seigneur » quand, après la chute, il donnait à Zachariel « prince des Dominations » (symbolisant ici sans doute le mécanisme fatal de l’Hérédité) mission de régir les formes créées : « que nulle ne sorte de sa matrice sans être conforme à ses générateurs. Tu maintiendras les espèces, et que l’une n’empiète pas sur l’autre. Veille sur les règnes, détruis la gelée primordiale mère commune de ce qui se meut et vit, de ce qui vit et ne se meut pas. Que la plante ne mange pas, que l’animal ne fleurisse pas, qu’il ne croisse pas au fond des mers d’inquiétantes gemmes, des animalités douteuses. Que tous les yeux soient doués de la vue, que chaque organe ait un rôle unique… Que les antennes qui écoutent ne soient pas de celles qui sentent, et si d’infimes bêtes élèvent des forêts sous les vagues océanes, que leur œuvre s’anéantisse, car je suis le créateur et rien n’aura ni l’essence ni la forme, qui ne sorte de mes mains… » Remy de Gourmont : Lilith. Ce fut le stade diffé-