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ment les sons d’un cor s’enfiler et s’affaiblir tour à tour. » Mais l’« Olfaction sonore » attend encore son virtuose. La « Gustation auditive », en revanche, eut son technicien et son exécutant en la personne de Des Esseintes[1]. Quel facteur d’instrument de musique se chargera de réaliser le subtil « Orgue à bouche » que lui composa Hüysmans en même temps qu’un « traité d’Harmonie ou de Contre point gustatif, » où « la bénédictine figure, pour ainsi dire, le ton mineur de ce ton majeur des alcools que les Partitions commerciales désignent sous le signe de chartreuse verte » ? Et quel Guide Joanne, en un tirage spécial pour « Oculo-Gustatifs », notera les impressions sapides de nos grands Réseaux, comme très spirituellement Saint-Pol-Roux le fit pour le rapide Paris-Marseille… parachevant le dîner pantagruélique de son « Œil Goinfre » par « la tasse de café des tunnels — que suit le « cognac brusque du vif soleil tout à coup reparu[2] ».

Moins susceptibles encore d’emploi littéraire sont les manifestations inférieures de notre sensorium — tact, électro-esthésie, sensibilité musculaire — dont les organes réceptifs, les neurones périphériques, sont encore bien peu spécialisés. À noter, pourtant, la « symphonie de petites sensations douces » que l’intoxication aiguë de l’opium permet de se jouer sur toute la surface du tégument. Mais la sensibilité colorée dont le Dr  Le Dantec s’est fait le champion scientifique[3] n’a jamais été, croyons-nous, matière à tentative d’art appliqué.

  1. J.-K. Huysmans : À Rebours. Charpentier, 1899, p. 64.
  2. La Rose et les épines du chemin : l’Œil goinfre, p. 209.
  3. Dr  Le Dantec, professeur à l’école de Santé navale de Bordeaux. Archives de Médecine navale, 1893, p. 95.