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d’expression musicale soupçonné déjà de Glück, et sommé par Wagner d’exprimer l’inexprimable, peut, en fin de compte, se définir : une synesthésie où l’un des termes sensoriels serait remplacé par un terme abstrait, un personnage, un fait, un principe… jouant le rôle, pour l’auteur, de sensation primaire. Quant à la secondaire, elle n’est autre que le contour musical lui-même qui figure ce personnage, ce principe, ce fait. Le leit-motif est une « Personnification ».

Mais les deux termes peuvent rester exclusivement littéraires « … M’arriva-t-il pas, » dit subtilement Saint-Pol-Roux, « d’offrir le bras à une strophe d’Henri de Régnier, de courtiser une phrase de Griffin, d’adorer une prose de Mallarmé, de baiser une maxime de Mæterlinck, de grappiller une chanson de Kahn, de boire un sonnet de Verlaine, de sabler une litanie de Remy de Gourmont, de manger un croquis de Hüysmans[1]. »

Les sensations de l’odorat, pour certains si évocatrices de souvenirs, sont, en l’espèce humaine, trop obtuses encore, et insuffisamment affinées pour être vraiment objet de précises relations[2]. Assez vaguement, G. de Maupassant écrit : « Je ne savais vraiment si je respirais de la musique ou si j’entendais des parfums, ou si je dormais dans les étoiles. » Hoffmann spécifiait davantage : « Le parfum de l’œillet rouge foncé agit sur moi avec une puissance extraordinaire et magique. Je tombe involontairement dans un état de rêve, et j’entends alors comme dans un grand éloigne-

  1. « Le mot, dit Remy de Gourmont, a encore une forme déterminée par les consonnes : un parfum, mais difficilement perçu, vu l’infirmité de nos sens imaginatifs. »
  2. La Rose et les épines du chemin. « Idéoplastie ».