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Ainsi que le buccin de l’Archange implacable
Évoquera les morts au dernier Jugement,
L’Angoisse, dans les cœurs, s’éveille, impitoyable
Aux sinistres fanfares du soir coruscant…

Mais tout s’estompe et s’éteint en un murmure crépusculaire :

Puis le son devient sombre ainsi que la lumière,
Il vibre plus léger dans la nuit moins amère
Et l’oublieux sommeil, aux Pays Irréels
Nous berce en un repos qu’on voudrait éternel.

Ce même instant de la lumière déclinante, un autre de nos amis — André Demelle — l’a vu moins strident : non plus de cuivre, mais d’airain :

… La mer — fondant ce vert qu’on dirait vénitien,
Et, le soleil couché, s’assombrissant — devient
Une cloche de bronze infinie — et qui tonne.

(Symphonie Glauque.)

Les sensations auditives ne sont pas seulement évocatrices de visions colorées, mais aussi de Formes, Figures, Schèmes géométriques dont la couleur peut être totalement absente[1]. De tels Photismes[2] sont aujourd’hui parfaitement démontrés, et dans leur étude on voudrait faire intervenir la notion quelque peu nébuleuse de « volume » du son[3] : Bleuhler et Lehman ont reconnu que les sons élevés évoquaient souvent chez leurs sujets une suite d’angles aigus. Les sons graves se voyaient plus obtus, émoussés, devenus arcs de cercle et courbes géométriques. Tout cela ne pourrait sembler que matériaux d’ingénieurs, non de poètes,

  1. « J’étais alors dans ma seizième année, dit Wagner… Pendant le jour, en un demi-sommeil, j’avais des visions, dans lesquelles la Fondamentale, la Tierce, la Quinte m’apparaissaient en personnes, et me dévoilaient leur importante signification. » Souvenirs, traduction C. Benoit p. 10.
  2. Destouches, op. cit. p. 4.
  3. Engel : Stumpf, cité par Destouches, ibid.