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ter un verbe poétique accessible un jour ou l’autre à tous les sens… J’écrivis des silences, des nuits, je notais l’inexprimable, je fixais des Vertiges… »

« Le texte est net », — commente G. Kahn — « le sonnet des voyelles ne contient pas plus une esthétique qu’il n’est une gageure, une gaminerie pour étonner le bourgeois. Rimbaud traversa une phase où, tout altéré de nouveautés poétiques, il chercha dans les indications réunies sur les phénomènes d’audition colorée quelques rudiments d’une science des sonorités. — Il vivait près de Charles Cros, à ce moment hanté de sa photographie des couleurs, et qui put l’orienter vers des recherches de ce genre… Il reste de cette tentative les belles analogies que signalent quelques vers de son sonnet[1]. »

Mais, avant tout manifeste, avant tout art poétique, un profond artiste avait, en Précurseur, usé de la technique nouvelle, merveilleusement. Et bien au-dessus du sonnet plaisant de Rimbaud, les Correspondances de Baudelaire demeurent primordiales et initiatrices des tentatives similaires :

CORRESPONDANCES

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe, à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
En une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme le hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

  1. G. Kahn, Revue Bleue, 10 août 1901.