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les fleurs souillées, elles étendaient les bras, s’écrasaient le nez et la bouche de leurs paumes humides, et joyeuses dans l’air froid, frissonnaient en courant à la rivière. Térii se souvint que sa dernière épouse avait paru dans la fête : elle reposait près d’un façonneur-de-pirogues. Il la secoua. Tous deux coururent s’ébrouer dans les eaux de la grande Punaáru. Puis, vêtus d’étoffes abandonnées, ils marchaient vers ce coin du ciel d’où souffle le maraámu-sans-trêve, pour regagner, comme on regagne un asile, la terre sacrée Papara.

Ils cheminaient sans paroles. Le sentier ondulait selon la forme du rivage. Soudain, il fonça vers la montagne comme s’il pénétrait en elle. Les rochers broussailleux proéminaient sur la grève, et la base du mont, excavée d’une arche béante, semblait s’ouvrir vers le ventre de la terre. Des franges de fougères humides comblaient la bouche immense d’où s’exhalaient des souffles froids. Nul bruit, que le clapotement rythmé de gouttelettes claquant sur des eaux immobiles. Térii connut alors qu’on frôlait, de tout près cette fois, non plus du lointain de la mer-extérieure, la grotte redoutable Mara : mais ce lieu, frappé de tapu, réservait un refuge possible : le fuyard, malgré sa peur, creva les feuillées : la caverne parut.