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rancuniers ; — mais il trouva bon qu’elle offrît, à la fois, un moyen d’échapper aux poursuites : nul ne se risquait, derrière lui, dans la mer obscure.

Le récif, après un grand détour, revenait côtoyer les terres. Le fugitif interrogea la nuit : tous les chants étaient morts, — mangés par le vent, peut-être ? Des lueurs éparses vacillaient seules par instant. Alors, il souffla. Puis, incertain, lourd de dépit et défiant l’ombre, il vint rôder aux abords de la fête, parmi les couples endormis.

Le firmament nocturne blêmissait. Dans l’imprécise clarté nouvelle, Térii heurta des corps étendus. Pas un ne s’éveilla : il reconnut les guerriers Nuú-Hiviens et s’étonna de les voir appesantis et veules : le áva maori ne donne point, aux vivants qui sommeillent, ces faces de cadavres ni cet abêtissement… L’un d’eux, le front ouvert, n’était plus qu’un mort en vérité. Un autre qui se vautrait à son flanc, le tenait serré comme un fétii. — Rien à redouter de ceux-là ! Térii les enjamba. Il piétinait des monceaux de vivres à demi dévorés, des cochons dépouillés, prêts pour la cuisson, des noix de haàri éventrées, des colliers et des parures pour la danse.

Un clair rayon de jour éveillé dansa sur les cimes. Dans la fraîcheur du matin, des femmes se dressèrent. Leurs yeux étaient pesants ; leurs gestes endoloris de fièvres amoureuses. Mêlées aux hommes qui, cette nuit-là, les avaient enlacées, et nues sous