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lonnent les vallées : — « Ce sont des petits d’atua ! Nous avons, sur notre terre, des images taillées dans des blocs de montagne. Elles sont très énormes. Cent hommes ne pourraient maintenant les dresser. Il y en a des milliers. Nous les jetons à bas ». Ils ajoutaient avec orgueil : « Notre île se nomme : Nombril-du-monde. » On ignorait ce pays.

Et ces peuples errants, accourus par les chemins des eaux et derrière le firmament visible, s’entendaient néanmoins comme des frères séparés par aventure, et qui se retrouveraient. Tous les mots dont ils désignaient les êtres autour d’eux, le ciel, les astres, le culte et les tapu, ces mots étaient frères aussi. Chacun sans doute les disait à sa manière : le rude prononcer des gens d’Anaá et de Nuú-Hiva — qu’ils appelaient Nuku-Hiva — heurtait les molles oreilles des Tahitiens beaux parleurs. Ceux-ci roulaient volontiers sur la langue les syllabes qui frétillent. D’autres glapissaient avec le creux de leur gosier. Mais on oubliait ces discords, et, de part et d’autre, on échangeait de longs appels de bienvenue.

Un silence lourd comme le ciel nuageux tomba soudain sur la foule. Les clameurs des hommes fléchirent, et la triple sonorité sainte — voix du récif, voix du vent, voix des prêtres, — s’épanouit seule dans la vallée. Le cortège se mit en route : les Maîtres-