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femmes étaient fortes, dont les torses musculeux tombaient sur des jambes petites. Comme elles partageaient les rudes travaux des hommes, pêchant et plongeant aussi, la salure marine avait parsemé leurs peaux d’écailles miroitantes, et leurs yeux, gonflés et rouges, brûlés par les reflets du corail, s’abritaient mal sous des cils endoloris. Beaucoup de ces gens, mutilés par les voraces atua-requins, balançaient gauchement des moignons sanieux. Sevrés de bonne chère, ils admiraient tous les merveilleuses provendes inconnues à leurs appétits. Chez eux, sur les récifs ras comme un pont de pirogue, sans rivières, sans flaques d’eau pour la soif, on se contentait des fruits du haari, et de poissons. Ici, les plaisirs du manger semblaient chose coutumière. Des mets extravagants, que l’on supposait nourriture divine et seulement exister dans les récits d’aventures, emplissaient de nombreux paniers, pendaient aux mâts, aux branches, aux épaules ; on en tirait aussi des cachettes souterraines. Le pays était bon ! — D’autres voyageurs, encore, se pressaient, mais ceux-là venus des îles froides. Les plus grêles d’entre eux, les plus blêmes, avaient, depuis cinq nuits, débarqué d’un navire étranger pêcheur de baleines. Ils s’émerveillaient des grands arbres et des faré hautement charpentés, et ne concevaient point que l’on pût, dans un seul tronc, creuser un pahi tout entier. Mais ils souriaient de mépris vers les tii aux yeux plats, aux torses roides, qui ja-