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bant visage bas. Nul ne hasardait un murmure aussi longtemps que s’entendaient craquer, sous ses pieds, les feuilles sèches. Mais le vêtement divin empêtrait l’homme dans son élancée : il l’avait jeté sur ses épaules : rapide et nu, il levait haut les palmes messagères qui frissonnaient au vent de sa course.

Dès l’aube de fête descendaient de l’horizon, sur la mer, les pirogues houleuses, pressées, déchirant les vagues. Des banderoles tendues entre des perches claquaient dans la brise. Les chants des femmes, les cris des pagayeurs, les aboiements des chefs de nage excitant à forcer, les clameurs des riverains partis à la rencontre, bruissaient au loin parmi d’autres rumeurs plus graves : l’invocation d’arrivée, entonnée par les prêtres de Oro. Leur flottille, sainte, par excellence, était partie, voici trois nuits, de la terre Raïatéa : elle accourait ; mais leur pirogue maîtresse devait, avant toute autre pirogue, entrer dans les eaux du récif.

En ces lieux déconcertants, la ceinture de corail se coude brusquement vers la terre. Les flots du large, roulant sans obstacle, viennent crever sur le sable brun et s’épanouir en arcs d’écume jusqu’au pied du maraè. Cela désappointait Térii, plus familier des lagons silencieux. Son trouble s’accrut. Il parcourait d’un regard craintif les terres élevées environnantes :