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Le Réformateur marchait d’un pas attardé par cette grosse jambe qui, depuis deux années, enflait sans répit. Il portait le Livre sous son bras. Il songeait, par avance, aux beaux pensers qu’il allait, d’une main fort habile, fixer par des signes, pour lui-même : c’était le récit de sa vie. Il y mélangeait d’autres histoires, imitées de la vie du grand chef Salomona. — Un serviteur, le joignant, lui remit une bouteille de áva piritané. Sans doute il en défendait, avec une grande rigueur, l’usage à ses manants. Mais ce qui n’est pas bon pour le peuple, devient excellent pour le Roi, si le Roi l’ordonne ainsi. Donc, il but avec avidité.

Et il regardait, plein d’orgueil, cette île Tahiti pacifiée par sa puissance, réformée par ses soins, instruite par son zèle : une fierté lui emplit les entrailles en même temps qu’un souffle chaud lui montait au visage. Dans la nuit, il devina l’immense toiture du Grand-faré-pour-prier, levé et consacré sous son règne. — Salomona, en vérité, n’avait pu mieux faire, avec son « Temple » — Salomona… qui donc en avait parlé, devant le Tribunal… Eha ! Sept cents épouses ? Oui ! mais son Temple ? non pas sept cents pieds de long ? Il dédaigna le petit chef Salomona. Puis, tout vacillant, il s’efforça de garder noble sa démarche. Il tourna soudain pour s’informer, —