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vait affirmer la « Transgression du jour réservé ». Parmi eux, l’on traînait un être à deux pieds, qui roulait des yeux sans ruse. Il aperçut le chef et balbutia, d’un air stupide : — « Narii… » On connut alors que c’était un combattant de la troupe Pomaré, lors de la grande victoire. Certain de voir perdue la bataille, il avait couru, comme l’Arii, et si loin, et si éperdument, que depuis lors il vivait dans la montagne, toujours apeuré comme les chèvres. C’est là qu’on l’avait surpris, frottant les bois qui s’enflamment, — et cela, un jour de sabbat ! À considérer le maintien indigne du sauvage, Iakoba sentit un orgueil : comme tous les bons disciples, il avait tondu sa chevelure et coupé les poils de son visage avec une coquille aiguisée. — Mais cet homme-là n’avait rien de chrétien avec sa barbe de bouc et son crâne broussailleux ! Iakoba détourna la tête. Pomaré prononçait :

— « La partie septième de la Turé, concernant la Transgression du Sabbat, dit : ce crime sera puni d’une longueur de route égale à cinquante brasses. » L’homme hébété restait indifférent. On le chassa par de grands coups de bâtons.

Et plus vite, à mesure que tombait le soleil, les coupables défilèrent. Nul n’osait plus réclamer ni dire « non » quand le chef-de-la-justice interrogeait — même au hasard. Pour chaque faute, pour chaque erreur et chaque négligence, la Loi, toujours, avait réponse, et semblait tout prévoir. Afin que personne