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chantées avec un mode suppliant, vont seuls, de tous nos actes, les joindre et les toucher ! » Il leva les épaules ; ses mains liées firent crier les cordes : « Leur nourriture et tout ce qu’ils réclament, ce sont nos désirs, nos louanges, le meilleur de nous-même, le plus léger, le plus divin. Le reste, ce que nous faisons au ras des terres où piétinent les hommes, ce que nous buvons, ce que nous massacrons, les grossiers aliments dont on se rassasie… laisse aux misérables sorciers le soin d’en repaître les tii, qui sont la racaille des dieux ! »

Le visage clair, détendu, l’inspiré de Iésu continuait superbement d’une haleine. C’était un beau parleur. Les trois disciples, à toucher ses flancs, respiraient plus largement eux-mêmes. Paofaï levait ses grands sourcils. Pomaré, les yeux rouges, pleins d’ennui, regardait lourdement tour à tour les coupables, les juges, les coupables encore. La foule se taisait, comme jadis aux temps des beaux récits. Mais le chef-de-la-justice, imposant sa voix par-dessus l’autre voix sonnante, accusait enfin Téao d’un dernier méfait, le plus grave, peut-être, à en croire le maintien des juges : Téao avait « attenté à la forme du Gouvernement », c’est-à-dire qu’il avait voulu « renverser le Roi, et chasser les chefs ! » Pomaré frémit des oreilles et leva la paupière droite.

L’inspiré se récria : les chefs ! mais il déclarait devant la foule et devant tous ses disciples les avoir en grand respect, les tenir en haut hommage, mieux