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Mais, à mesure qu’on gagnait sur la montagne, et que l’on s’écartait des demeures des hommes, la foule laissa bruire ses bouches nombreuses et avides de parler. Il se fit un murmure continu de mille petits souffles, de claquements légers de langues, d’appels de lèvres menus comme des battements de cils. Par-dessus tout, la voix sifflante des cimes d’aïto — qui cernent les lieux tapu, — s’épandit ; la foule s’arrêta, houla comme une vague qui s’étale, et remplit le creux de la vallée. Malgré l’éclaircie dans le fourré, malgré qu’il fît bâiller toutes grandes ses paupières, Iakoba ne put rien discerner encore, sous la caverne du ciel noir, que des formes indécises d’arbres balancés. Autour de lui, à hauteur d’humain, la haie de ténèbres demeurait impénétrable. Il songea qu’on disait dans les récits :

« C’est la Nuit — la nuit sans visage,
la nuit pour ne-pas être-vue… »

Soudain, tous les souffles étant tombés hormis le sifflement des branches, une voix surgit :

— « Qui suis-je, pour vous tous ? »

Iakoba, épouvanté, s’affirma que ce n’était point là paroles dites par une bouche d’homme. Non ! pas un homme n’aurait parlé avec cet accent-là !…

— « Qui suis-je, pour vous tous ? » On se mit à répondre sourdement :