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petites filles s’amorcent et se prennent comme les poissons curieux, — pensaient peut-être les Farani, embusqués dans leurs agrès noirs.

L’un d’entre eux avait aperçu les quatre nageuses, et leur criait des appels dans son comique langage. Eréna se laissa distancer. Les trois autres sautèrent à bord, ruisselantes ; les tapa leur collaient aux seins, aux genoux. Ce fut une bourrasque de joie : tous leur faisaient fête. Mais elles, décemment, séparaient de leur peau l’étoffe alourdie, et en disposaient les plis d’une façon tout à fait bienséante. Eréna saisit l’échelle pour reprendre haleine, et s’ébroua. Les marins la réclamaient aussi ; car malgré la chevelure épandue sur les yeux et la bouche, ils devinaient une plaisante fille, désireuse de joindre ses compagnes, mais effarouchée ou moins hardie. Un homme alerte s’en vint jusqu’au ras de l’eau, près d’elle, et prit sa main. Elle se cambra sur le premier échelon, afin de rajuster sa tapa qui découvrait l’épaule. Et comme le marin, lui entourant la hanche, la pressait de monter, et qu’il se penchait tout entier vers l’eau pour lui laisser passage, elle dit avec raison :

— « Non ! non ! va le premier, toi ! » Car il n’est pas bon de précéder à l’escalade un homme étranger dont le regard glisse au long des jambes. Lorsque le marin fut en haut, elle décolla, comme ses amies, ses vêtements mouillés ; hésita un peu, puis sauta sur le pont en serrant les plis, de ses pieds joints.

On l’entraîna. Comme ils étaient enjoués, ces ma-