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et la taille ; aux flancs luisants comme des hanches de femme parée, à la poupe tranchante comme une queue de requin.

Choisis des compagnons déjà familiers de la mer-extérieure : qu’ils soient peu nombreux : quatre fois moins qu’en porterait la grande pirogue. Car le voyage peut être long, la nourriture courte.

Dis aux femmes de cueillir, à leur maturité, les fruits de uru ; de les rôtir ; de les dépouiller ; de les écraser avec un pilon de grès dans un bol de bois dur, en arrosant d’eau de rivière.

Enterre ces fruits parmi des feuilles-Ti, au fond d’un trou bourré de bananes pour le parfum. Fais la petite incantation. Bientôt la pâte deviendra piquante : à la flairer, tes dents se mouilleront de salive. Tu auras ainsi le grand mets durable, le mahi, pour les départs sans limites.

Emplis-en le pont de ta pirogue gauche. Amarre, sur la droite, des noix de haari, pour la soif. N’oublie pas, au milieu, des femmes pour l’amour. Lace les poteaux de feuilles aüté qui célèbrent les départs, les font propices et pompeux. — Le pahi est prêt.

Monte sur le toit où se tiennent les pilotes. Immole trois cochons, en criant très fort vers la mer : — « Dieux requins, dieux rapides à la queue vive, donnez à ce pahi que je nomme, — ici le nom — donnez à ce pahi vos nageoires promptes : qu’il glisse comme Pohu ; qu’il flotte comme Famoa ; qu’il boive