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Puis un beau souffle païen s’élève dans Soleil et Chair :

Je crois en toi, je crois en toi, divine mère,
Aphrodite marine ! — Oh ! la route est amère,
Depuis que l’autre dieu nous attelle à sa croix…
…Et l’idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la Femme…
La femme ne sait plus même être courtisane[1] !

L’invention lyrique est moins apparente en de tels jeux enfantins :

Ils ont schako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boîte à bougie.
Et des yoles qui n’ont jam-jam
Fendent le lac aux eaux rougies[2].

Pourtant on trouverait dans la littérature patentée actuelle des procédés de versification analogues, et autant d’acrobatie dans la rime :

… voilà
La présidente Aubry ! —
la distributrice
Oranges, lait… —
les violons, s’accordant.
La… la…

Or, M. Rostand étant évidemment poète puisqu’il fait des vers, et des vers d’une académique pureté, on pourrait soutenir que la verve de Rimbaud, qui l’égale en jongleries, devient, par cette comparaison, flagrante. Mais l’inattendu contact est de brève durée entre le poète béni par la foule et l’autre, le maudit. Celui-ci prend définitivement son essor dans le Bateau Ivre, où, visionnaire de sa propre vie, Rimbaud prévoit ses tourmentes futures, ses marches interminables, ses luttes, ses périples infructueux, sa vie bousculée, sa vie douloureuse, toute sa vie de

… martyr lassé des pôles et des zones[3]

D’abord, c’est l’ivresse joyeuse,

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que des cerveaux d’enfants,

  1. Œuvres, p. 27.
  2. Chant de guerre parisien. Œuvres, p. 71.
  3. Bateau Ivre. Œuvres, p. 95.