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essayé qui ne réussit, relativement, que trop bien : il but des tisanes de pavots et vécut plusieurs jours dans un rêve réel très étrange. La sensibilité cérébrale ou nerveuse étant surexcitée en l’état de veille les effets opiacés du pavot se continuèrent, procurant au malade des sensations atténuées presque agréables, extralucidant sa mémoire, provoquant chez lui l’impérieux besoin de confidence. Portes et volets hermétiquement clos, toutes lumières, lampes et cierges allumés, au son doux et entretenu d’un très petit orgue de Barbarie, il repassait sa vie, évoquait ses souvenirs d’enfance, développait ses pensées intimes, exposait plans d’avenir et projets. Ainsi l’on sut que là-bas, au Harrar, il avait appris la possibilité de réussir en France dans la littérature ; mais qu’il se félicitait de n’avoir pas continué l’œuvre de jeunesse, parce que « c’était mal ».

Ainsi jusqu’au bout il persistait à mépriser son être essentiel et les chères paroles que cet être, adolescent, avait dites. L’inspiration poétique n’était pas morte en lui ? Peut-être. Mais, décidément, il l’avait étouffée.

VICTOR SÉGALEN.