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sager que les qualités de précision technique propres au vocabulaire de chacun de nos artistes.

Écartons dès l’abord une possible confusion.

Exactitude n’est pas, en matière de langue médicale, synonyme obligé de néologisme. Un mot peut être rigoureusement doctoral sans être affligé d’une désinence grecque, sans affecter des allures d’étiquette pharmaceutique, sans exhaler des relents d’hôpitaux. Sans doute, les Revues spéciales se panachent de plus en plus de vocables étranges, composites, bâtards, et d’une synonymie désespérément compliquée.

« Les médecins de Molière parlaient latin », remarque finement Rémy de Gourmont en sa lumineuse « Esthétique de la langue française »[1], « les nôtres parlent grec. C’est une ruse qui augmente plutôt leur prestige que leur science. Ils commencèrent à user sérieusement de ce stratagème au xviiie siècle ; du moins ne voit-on, avant cette époque, même dans Furetière, que peu de termes médicaux tirés du grec. Peu à peu, ils se mirent à divaguer dans une langue qu’ils croyaient celle d’Hippocrate et qui n’est qu’un jargon d’officine… Ce fut un grand progrès d’avoir appelé hystérotomotocie l’opération césarienne, scolopomachérion le bec de bécasse, et méningophylax un couteau à pointe mousse pour la chirurgie de la tête !

» Les médecins modernes n’ont presque rien inventé de plus absurde, mais ils ont inventé davantage et renouvelé à la fois leur science et l’art d’en voiler la faiblesse… »

« Les médecins, dit avec sagesse M. Brissaud[2], sont coupables de conserver et surtout d’inventer des formes bâtardes, métissées de grec et de latin, dans les cas où le fond de notre langue suffirait amplement ». Et il cite le mot excellent de cailloute, nom d’une phtisie particulière aux casseurs de cailloux

  1. 2e édit. du Mercure de France, p. 36, 38, 39.
  2. Dr  Brissaud, Histoire des expressions populaires relatives à la médecine, 1888.