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avec toutes les marques du respect : on m’assure, princesse, que vous voulez me voir, dit-il, me voici à vos ordres ». Puis, sans se préoccuper de savoir à qui il s’adresse, il se pose en inventeur et se met à débiter avec emphase le boniment amphigourique d’une encre merveilleuse qui se décolore peu à peu et permet, au bout de huit jours, de considérer comme non avenues les promesses que l’on a solennellement signées ; il donne ensuite à sa femme une sorte de leçon allégorique, dans le genre de celle qu’Hamlet donne, devant la cour de Danemark, à la reine coupable du meurtre de son mari, et enfin, sans attendre de réponse, il salue et rentre rapidement dans sa chambre.

» Nous ne savons quelle impression une pareille exhibition peut produire sur la masse des lecteurs, mais nous pouvons affirmer à M. Malot, qui tient tant cependant à montrer les hommes et les choses avec tous les caractères de la fidélité réaliste, que le prétendu aliéné qu’il met ainsi en scène n’a jamais existé et ne répond à aucun type connu.

» Sans doute, il y a des fous qui éprouvent des hallucinations terrifiantes et du délire de persécutions ; ce sont des lypémaniaques.

» Sans doute, il y en a chez lesquels la mémoire et toutes les facultés sont tellement abolies qu’ils ne peuvent plus reconnaître même les personnes qu’ils ont le mieux connues et le mieux aimés, ce sont les déments.

» Sans doute enfin, il y en a qui sont disposés à accorder au premier venu des titres illustres et qui se croient complaisamment les auteurs des inventions les plus merveilleuses ; ce sont des gens affectés de paralysie générale.

» Mais si chacun de ces symptômes existe isolément, jamais ils ne coexistent et personne n’a été admis à observer au même moment, pour un même malade, les symptômes réunis de la lypémanie partielle, de la démence et de la paralysie générale. À force de vouloir trop prouver, l’auteur finit par ne rien prouver du tout, si ce n’est sa parfaite incompétence en clinique mentale. Chose bien remarquable et qui à elle seule ferait reconnaître la fiction, le romancier est venu échouer sur le même écueil que