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« Me voilà donc forcé de répéter, une fois de plus, quelle est ma méthode de travail. Et j’élargis la question. Il ne s’agit donc pas de moi, mais du romancier en général, qui, comme moi, a l’ambition de tout voir, de tout dire. Le vaste monde est ouvert, il n’est pas de sujet qu’il ne puisse aborder, et il devra dès lors s’occuper d’histoire, de philosophie, de sciences ; il touchera à tous les métiers, il examinera toutes les professions. C’est dire que, selon l’idée que je me fais du roman moderne, le romancier est tenu d’avoir des connaissances universelles.

» Pour mon compte, ma méthode n’a jamais varié depuis le premier roman que j’ai écrit. J’admets trois sources d’information : les livres, qui me donnent le passé ; les témoins, qui me fournissent, soit par des œuvres écrites, soit par la conversation, des documents sur ce qu’ils ont vu ou sur ce qu’ils savent, et enfin l’observation personnelle, directe, ce qu’on va voir, entendre ou sentir sur place. À chaque nouveau roman, je m’entoure de toute une bibliothèque sur la matière traitée, je fais causer toutes les personnes compétentes que je puis approcher, je voyage, je vais voir les horizons, les gens et les mœurs. S’il existe une quatrième source d’information, qu’on me la désigne et vite je courrai m’y abreuver ».

C’est avec persistance que M. Zola place en troisième lieu l’observation directe. Il la croit insuffisamment étendue en présence du champ énorme qu’il escompte embrasser. Il juge au contraire la documentation indirecte, en ses allures de « connaissance universelle », plus susceptible de satisfaire sa conception gigantesque du roman. Nous avons donc cru rester dans la note, en cherchant dans ses œuvres un exemple analysable de cette troisième méthode. Nous nous sommes arrêté au cas d’éthylisme chronique qui se déroule à travers l’Assommoir, justifié en ce choix par l’indication précise de l’auteur même. « La mort de Coupeau, dans un accès de delirium tremens, est la reproduction textuelle d’une observation de chef de clinique faite à Sainte-Anne »[1]. On la retrouverait dans une leçon du

  1. Émile Zola, Nouvelle campagne, même édit., p. 251.