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Ce n’était d’ailleurs pas une œuvre stricte d’autoréminiscence. Comme Daudet empruntant à ses « sosies » les documents complémentaires de son propre sujet, les frères de Goncourt, pour parfaire ce type de « fou lettré qui lutte contre la folie envahissante » s’étaient adressés aux recueils spéciaux. Souvent, en effet, l’auto-observation n’est que le point de départ, l’élément initial d’une étude que vient élargir l’intelligente assimilation des matériaux techniques. Il serait dès lors déplacé, inexact et injuste, de s’obstiner à retrouver l’auteur derrière le moindre geste de son protagoniste littéraire : un cas de neurasthénie évoluant dans une mentalité d’artiste et d’érudit peut être initiateur d’un tableau plus complet.

C’est à ce titre que nous nous permettrons de donner, en ce chapitre, le schéma clinique du prodigieux et complexe À Rebours[1].

Observation β
D’après J.-K. Huysmans.
Hystéro-neurasthénie.

Jean Floressas des Esseintes, âgé de 30 ans.

Antécédents héréditaires : Issu d’une famille primitivement robuste composée « d’athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres »… « Par un singulier phénomène d’atavisme », il ressemble à l’antique aïeul qui, au XVIe siècle, introduit dans la race des éléments de dégénérescence et chez lequel se marque « la prédominance de la lymphe dans le sang ». « Comme pour achever l’œuvre des âges, les des Esseintes marièrent pendant deux siècles leurs enfants entre eux, usant leur reste de vigueur dans les unions consanguines ».

Père mort, il y a treize ans — des Esseintes atteignait alors sa dix-septième année — « d’une maladie vague ».

Mère : « Longue femme silencieuse et blanche » ne pouvant sup-

  1. J.-K. Huysmans, À Rebours, Charpentier, 1884.