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dut avoir conscience, comme artifice scénique, que du premier de ces deux aspects. Pour lui ce drame résidait, à n’en pas douter, « dans une œuvre de vengeance poursuivie par le héros à l’aide d’un stratagème, la folie ». Mais l’observateur, en lui, l’emporta ; il alla jusqu’aux données secondes de son héros, jusqu’à cet Hamlet inquiet, torturé de l’idée fixe, mais impuissant, irrésolu, le seul qui nous poigne aujourd’hui ; finalement, le personnage total, dont la maquette primitive de simulateur aurait pu rester artificielle et fausse s’il n’était resté que simulateur, demeure cohérent et véridique. L’observation involontaire avait élargi et vivifié ce qu’avaient d’étroit et de technique les données premières. Un second exemple, plus immédiat, nous est fourni par l’emploi fréquent et toujours d’une précision étonnante des plus subtiles névroses dans l’œuvre wagnérienne. Senta et Elsa, en leurs rêves prophétiques, sont d’exquises mais authentiques hallucinées. C’est de l’amnésie que boit Siegfried en même temps que le philtre d’oubli. Sous le baiser divin de Wotan fascinateur, c’est d’hypnose que s’endort la Walkyrie sur son rocher incandescent. Enfin, l’étonnante création de Kundry est une curieuse adaptation scénique du dédoublement de la personnalité. Il était intéressant de savoir à quelle source avisée Wagner avait puisé, surtout s’il avait eu conscience, en ces fresques géantes, d’avoir atteint la précision clinique que nous y admirons aujourd’hui.

Nous ne le croyons pas. Ses études premières exclusivement artistiques, et secondes uniquement politiques et sociales, ne le disposaient pas aux recherches de psychologie documentaire. Elle lui aurait d’ailleurs été d’un piètre secours. En 1855, date Wagner terminait la Walkyrie, le baron du Potet dogmatisait avec une noble suffisance. En 1877, où s’achevait le livret de Parsifal, le dédoublement de conscience n’était que mythe et fatras. D’ailleurs, l’école de Bayreuth ne nous offre actuellement aucune tendance à l’interprétation volontairement médicale des personnages cités. Le jeu de scène maintenant classique à l’Académie nationale de musique en lequel, au final de la Walkyrie, Wotan fascine de son regard impérieux et sévère Brünhild