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rauques ou lointaines, flairer des relents de cadavre, se pénétrer enfin de tout ce cortège lamentable et mesquin de la souffrance vulgaire ; toutes choses auprès desquelles, avons-nous dit, le professionnel ne peut rester indifférent que parce qu’il les regarde mais ne les voit pas[1].

Sur la recommandation de Flaubert, les frères de Goncourt purent fréquenter quelque temps le service de Velpeau à la Charité, y faire des études sur « le vrai, le vif, le saignant »[2]. Leurs débuts furent, comme ceux de tous les novices, marqués de ce « petit trouble qui met le cœur mal à l’aise ». Mais ils se raidirent, suivirent la visite avec pourtant « un sentiment de la rotule dans les genoux et du froid dans la moelle des tibias. »[3].

La pénible impression persista longtemps. « C’est affreux, cette odeur d’hôpital qui vous poursuit. Je ne sais si c’est réel ou une imagination des sens, mais sans cesse il nous faut nous laver les mains. Et les odeurs mêmes que nous mettons dans l’eau prennent, il nous semble, cette fade et nauséabonde odeur de cérat… Il nous faut nous arracher de l’hôpital et de ce qu’il laisse en vous, par quelque distraction violente »[4].

Cette réaction au contact de la réalité dolente, est surtout l’apanage des sincères, des vibrants, des profonds artistes… « Lorsqu’on est empoigné de cette façon, lorsqu’on sent ce dramatique vous remuer ainsi dans la tête, et les matériaux de votre œuvre vous faire si frissonnant, combien le petit succès du jour vous est inférieur, et comme ce n’est pas à cela que vous visez, mais bien à réaliser ce que vous avez perçu avec l’âme et les yeux »[5].

Ce dernier desideratum n’est plus du tout celui d’Hector Malot dont les procédés de documentation, évidemment du meilleur

  1. V. plus haut, p. 22.
  2. Ed. et J. de Goncourt, Une visite à la Charité, Chronique médicale, 1896, 1er août.
  3. Ibid.
  4. Ibid.
  5. Ibid.