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frère, que les vraies affections ne sont pas descriptives. Cette affirmation ne me touche guère parce que j’ai la conscience de l’avoir plus aimé qu’aucun de ceux qui diront cela n’ont jamais aimé aucune créature humaine ; ..... mais, renfonçant toute sensibilité, j’ai pensé qu’il était utile pour l’histoire des lettres, de donner l’étude féroce de l’agonie et de la mort d’un mourant de la littérature..... »[1].

Et, cette justification achevée, suit une des plus poignantes et douloureuses observations cliniques qui aient jamais été recueillies par un cerveau dressé à l’analyse et tout proche de l’être souffrant :

Observation α
D’après Edmond de Goncourt.
Paralysie générale progressive[2].

Jules de Goncourt, 40 ans, homme de lettres.

Antécédents héréditaires : Passés sous silence.

Antécédents personnels : Surmenage intellectuel.

Histoire de la maladie : Le premier symptôme noté est l’embarras de la parole… « depuis quelque temps et cela est plus marqué tous les jours. Il y a certaines lettres qu’il prononce mal, des r sur lesquels il glisse, des c qui deviennent des t dans sa bouche. C’était pour moi, dans son enfance, quelque chose de doux et de charmant d’écouter sa petite parole trébuchant contre ces deux consonnes, et ses colères contre sa nou-ice. Retrouver aujourd’hui cette prononciation enfantine, entendre sa voix comme je l’ai entendue dans ce passé effacé, lointain, où les souvenirs ne rencontrent que la mort, cela me fait peur ».

Puis l’observation devient plus suivie.

  1. Edm. de Goncourt, La dernière maladie de J. de Goncourt citée par la Chronique Médicale, 1896, 1er  août, p. 464.
  2. Nous ne prétendons point poser de diagnostic historique. Nous avons simplement ordonné, suivant le cadre clinique usuel, les notes recueillies par Edm. de Goncourt pour mettre en lumière leur exactitude médicale.