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maigres — qui reçut les derniers coups de pinceaux de l’agonisant.

Gauguin n’est pas mort lépreux. — Et qu’importe de cataloguer ses diathèses : car elles ne furent point seules en cause, et s’empirèrent des luttes ultimes, de la défaite. Luttes puériles où s’épuisait, en contestes infimes, le splendide lutteur, et défaite « judiciaire » dont le pur artiste s’affligeait étrangement ainsi que d’une déchéance. Comme si la justice des hommes pouvait éclabousser ceux-là que le génie surhausse en un forclos et imprescriptible Hors-la-Loi.

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Autour de Gauguin s’agitaient (mollement) ses comparses indigènes, les pâles Marquisiens élancés au visage barré de stries bleuâtres qui reculent les yeux, démesurent la bouche ; à la peau claire habillée de signes incrustés de tatu, dont chaque ornement (jadis) signifiait un exploit. Gauguin choryphée entonnait une complainte et récriminait, et les choristes dociles achevaient l’antistrophe. Beaucoup le suivaient sans comprendre, de ces enfants géants dont la langue, pour exprimer nos mœurs, a dû se charger de radicaux sémites ou latins, restés pour eux lettres mortes. D’autres l’excitaient par de faux-avis ; et d’autres encore lui furent, parmi ces indigènes, fidèles et bons, vraiment. Il serait, d’autre part, oiseux et ridicule, un peu, de parler d’immoralisme en un milieu où le mot pudeur est représenté par un néologisme anglais ; où ce mot et le sentiment désigné n’ont que peu de rapport avec la sexualité ; où la virginité est un mythe exprimé par un nom grec, la fidélité sexuelle un non-sens, l’amour désintéressé une énorme invraisemblance et la femme un exquis animal. Mais, il est vrai, un animal civilisé, puisqu’elle entremêle ses ébats amoureux du chant de cantiques, coupés de l’énumération (avec les sous-préfectures) de nos départements français.

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Ce qu’ils donnèrent d’eux-mêmes à Gauguin, ces