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ment du devoir), ils peuvent être bourgeois, normaux. C’est affaire de tempérament, de tenue physique : tel écrivain splendide et forcené peut avoir l’habit de chair d’un maigre sacristain ; le génie n’exclut point un extérieur honorable, décent, une vie de négoce ou de ponctualité. Et Gauguin, encore, ne fut point tout cela : mais il apparut dans ses dernières années comme un être ambigu et douloureux, plein de cœur et ingrat ; serviable aux faibles, même à leur encontre ; superbe, pourtant susceptible comme un enfant aux jugements des hommes et à leurs pénalités, primitif et fruste ; il fut divers, et, dans tout, excessif.

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De l’artiste à sa demeure, celle-ci n’étant qu’un geste de scène de celui-là. Geste sobre, et, dans la formidable décoration naturelle, touche harmonique et mesurée. Ce toit, brun et roux de feuillages lacés, tombant en deux longs versants sur la paroi jaune nattée et végétale aussi, ne heurte aucun détail alentour, se rattache au sol herbeux par une forte charpente brute, jaillie sans apprêts des ressources du pays. En face de l’escalier bref qui monte au parquet surhaussé, une petite maisonnette naïve abrite une maquette de glaise desséchée, effritée à la pluie. Il convient de s’arrêter, car c’est une effigie divine, et les rites anciens suggèrent la Prière de l’Étranger :

J’arrive en ce lieu où la terre est inconnue sous mes pieds.
J’arrive en ce lieu où le ciel est nouveau par-dessus ma tête.
J’arrive en cette terre qui sera ma demeure…
Ô Esprit de la terre, l’Étranger t’offre son cœur, en aliment pour toi.

Et c’est bien une figuration de l’atua indéfini des jours passés ; mais, issue des rêveries exégétiques de l’artiste, elle est étrangement composite : l’attitude est Bouddhique, mais les lèvres musculeuses, les yeux saillants tout proches, non bridés, le nez droit à peine élargi aux narines, sont des traits indigènes : c’est un