à genoux pour luy en rendre grace : mais elle ſe repentant de ce qu’elle avoit dit, me releva : & me deffendit ſi abſolument de luy parler jamais de ma paſſion, & de la voir jamais en particulier, que je connus bien qu’en effet elle le vouloit ainſi. J’obtins pourtant encore un quart d’heure d’audience, pendant lequel je ne pûs preſques l’obliger à me reſpondre : & pendant lequel je ne fis que ſouspirer ; que la regarder ; & que la conjurer de ne m’oublier pas. J’eus neantmoins la conſolation de voir quelques marques de douleur & de tendreſſe dans ſes beaux yeux : & de pouvoir eſperer que malgré elle je demeurerois dans ſon ſouvenir. Cependant nous eſtions deſja ſi prés du Port, que tout ce que je pûs faire, fut de remettre un peu mon eſprit, auparavant que d’eſtre obligé de me trouver aveque des gens qui ne parloient que de joye. Je ne vous diray point, Seigneur, comment cette ceremonie ſe paſſa : car je ne pris gueres de part à l’allegreſſe publique. Je troublay meſme celle de Tiſandre : qui effectivement ſentit mon chagrin, & partagea mes deſplaisirs : principalement lors qu’il me vit fortement reſolu de m’eſloigner de Leſbos, & ne n’y tarder point du tout. Il obligea le Prince ſon Pere à faire tout ce qu’il pût pour me forcer à demeurer à Mytilene, en attendant qu’il pleuſt aux Dieux de me donner les moyens de reconquerir mon Eſtat : mais ce fut inutilement, & je partis ſans sçavoir où je voulois aller, auſſi toſt que mes Vaiſſeaux furent munis de toutes le choſes qui m’eſtoient neceſſaires : & que deux autres que Tiſandre me força de recevoir, furent en eſtat de ſe mettre en Mer. Comme mes propres malheurs m’avoient apris à avoir compaſſion de ceux
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/637
Cette page n’a pas encore été corrigée