allant faire la guerre : & de me tenir touſjours tout preſt à me jetter dans cette Ville, s’il s’en preſentoit quelque occaſion favorable. Me voila donc contraint d’attendre en repos, le ſuccés de ma fortune : mais je vous advoüe que c’eſtoit avec un chagrin ſi grand, que rien ne pouvoit me divertir. Ce qui le redoubloit encore, c’eſtoit que le Prince Tiſandre eſtoit auſſi malheureux que moy, bien que ce fuſt par une cauſe differente : car vous sçaurez, Seigneur, qu’il y avoit plus de deux ans qu’il aimoit eſperdûment cette celebre Fille que vous viſtes à Leſbos quand nous y paſſasmes enſemble, ſans pouvoir en eſtre regardé favorablement, quoy qu’il euſt fait toutes choſes poſſibles pour s’en faire aimer. Comme l’admirable Sapho dont je vous parle, eſt aſſurément un miracle d’eſprit, & que de plus elle a beaucoup de beauté & d’agréement, je ne pouvois pas trouver qu’il euſt tort de l’eſtimer plus que tout le reſte du monde : mais comme je n’avois encore jamais rien aimé, je le blaſmois eſtrangement de ce qu’il paroiſſoit auſſi melancolique que moy. Mais, Seigneur, comme ce n’eſt pas l’Hiſtoire de ce Prince que je veux vous raconter, je ne vous en diray rien autre choſe, ſinon qu’eſtant abſolument deſesperé de pouvoir jamais toucher le cœur de cette belle Leſbienne : il me pria de vouloir eſtre le compagnon de ſon exil, & de vouloir aller errer aveques luy, ſur toutes les Mers qui n’eſtoient pas fort eſloignées de Milet, pour voir ſi l’abſence le pourroit guerir. Je luy accorday aiſément ce qu’il voulut, tout lieu m’eſtant indifferent dans ma diſgrace : ainſi pretextant noſtre départ le mieux que nous puſmes, nous quittaſmes Leſbos, & : nous nous abandonnaſmes
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