il euſt eſté bien difficile qu’elle ne m’euſt pas fait la grace de faire quelque diſtinction de moy à tous les autres qui l’avoient quittée : neantmoins elle s’eſtoit ſi fort reſoluë de ne rien aimer, qu’elle s’obſtina à me traitter avec indifference. Je veſcus donc de cette ſorte durant quelque temps, ſans pouvoir jamais trouver une occaſion de luy parler en particulier, parce qu’elle me les oſtoit toutes : Mais enfin je la trouvay un jour ſur les bords de la riviere de Cephiſe, qui paſſe à Delphes, où les Dames ſe promenent ſouvent à pied : laiſſant leurs Chariots au bout d’une grande Prairie, bordée d’une eſpece d’Aliſiers fort egreables. Elle y eſtoit avec deux de ſes Amies ſeulement ; & lors qu’apres divers tours de la promenade nous euſmous trouvé des hommes de leur connoiſſance, qui leur aiderent à marcher, je demeuray ? eſtat de rendre ce meſme ſervice à Teleſile, & de luy pouvoir parler ſans eſtre entendu que d’elle. Car la liberté eſt beaucoup plus grande à Delphes qu’à Athenes ; & meſme encore un peu plus qu’a Corinthe : à cauſe de ce grand abord d’Eſtrangers qui y viennent de toutes les parties du Monde : & qui y font inſensiblement couler quelque choſe des couſtumes de leur Païs. Mais ô Dieux, que je me trouvay embarraſſé, lors que je voulus commencer la converſation ! je n’avois pas pluſtost reſolu de luy dire une choſe, que j’en penſois une toute contraire : & nous fuſmes aſſez long temps ſans parler ny l’un ny l’autre. Mais enfin pouſſé par ma paſſion, je commençay de l’entretenir par un ſoupir : Pluſt aux Dieux, luy dis-je, adorable Teleſile, que vous vouluſſiez vous épargner la peine d’entendre en des termes mal propres & peu ſignificatifs, les ſentimens que j’ay pour vous : & que vous vouluſſiez
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