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arbre, resolu d’attendre le jour en ce lieu là : & certes il eust esté difficile d’imaginer en le voyant en un si deplorable estat ; qu’il avoit gagné deux Batailles ce mesme jour ; fait un Roy prisonnier ; & donné la chasse à un autre. Mais enfin apres avoir esté quelque temps de cette façon, le hazard voulut qu’un cheval qui estoit demeuré sans Maistre en ce combat, errant le long de ce fleuve, vint passer aupres de luy : & comme cet animal l’aperçeut à la faveur des Estoiles, il voulut s’en reculer avec impetuosité : mais par bonheur sa bride qu’il portoit traînante, luy embarrassa les pieds, & le fit broncher si prés de mon Maistre, que portant la main avec diligence à cette bride, il en saisit les resnes & le retint. Ce cheval qui ne se trouva pas estre des plus fougueux, s’arresta tout court : & Artamene sentant bien qu’il s’affoiblissoit par la perte du sang : & considerant qu’il estoit fort esloigné de son Camp, monta sur ce cheval, quoy qu’avec beaucoup de difficulté : & se resolut d’aller vers un lieu où il voyoit quelque lumiere à travers les arbres : & où il luy sembloit apercevoir quelque Bastimens. Jugeant enfin, qu’il valoit encore mieux aller demander du se cours mesme à ses Ennemis ; que de se laisser mourir au pied d’un Arbre, fans estre assisté de personne. Joint qu’il sçavoit qu’il y avoit une partie de la Bythinie, qui n’estoit pas fort affectionnée au Roy de Pont : de qui le Pere l’avoit usurpée, sur ceux qui en estoient les Princes legitimes.

Enfin ne pointant faire autre chose, il marcha droit vers le lieu où il voyoit cette lumiere : comme il en aprocha, il connut que c’estoit un assez beau Chasteau, dont l’on avoit abatu les Fortifications, & qui n’avoit plus ny