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ne me pouvoir soutenir, Artamene ne recevroit pas le Roy de Pont d’une maniere si incivile : & il luy feroit sans doute connoistre, que la vertu malheureuse, ne laisse pas de luy estre en veneration. Ne parlons plus de malheur, respondit le Roy de Pont, mes chaines ne font presque plus pesantes, puis que c’est vous qui me les donnez : & je n’ay pas besoin de toute ma vertu pour future Artamene comme mon Vainqueur. Ceux qui comme vous ont merité de vaincre, luy respondit mon Maistre, ne doivent s’affliger que mediocrement d’estre vaincus : & c’est plustost en vostre propre valeur qu’en la mienne, que vous trouvez la consolation de vostre infortune. Le Roy de Pont s’estant un peu reculé, pour faire place à ceux qui vouloient encore salüer Artamene ; mon Maistre voulut sçavoir si la victoire n’avoit pas esté entiere. Il demanda des nouvelles du Roy & de la Princesse : il s’informa mesme de la pluspart des Capitaines : & il eut aussi la bonté de demander où estoit Chrisante, & où j’estois. Il caressa des yeux ceux à qui il ne pût parler : & assura les Soldats en sous-riant, qu’il ne leur demanderoit point sa part du butin. Tout le monde eust bien voulu sçavoir ce qui estoit arrivé à mon Maistre : mais il leur representa que le lieu n’estoit pas propre : & les conjura d’avoir un peu de patience. Apres que cet agreable tumulte fut appaisé, Artamene envoya vers le Roy, pour l’advertir qu’il estoit vivant : & qu’il estoit à la teste de six mille hommes, qui amenoient le Roy de Pont, afin de l’aquitter de son ancienne promesse : & pour luy dire aussi, qu’il attendoit precisément ses ordres. Cependant il ne laissa pas de marcher, & de s’avancer lentement, jusques à dix stades de Sinope.