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ne m’apartiennent pas de telle sorte, que la gloire ne les ait pù partager avec moy : mais qu’Artamene m’ait aimée, & se empesché de me le dire jusques à la mort, par un pur sentiment de respect ; c’est Martesie, c’est ce qui est absolument pour Mandane ; c’est ce qui me fait voir parfaitement, qu’Artamene l’estimoit & la connoissoit ; & c’est enfin ce qui m’oblige d’aimer la memoire d’un homme, qui avoit sçeu accorder la raison avec l’amour : & m’aimer sans m’offencer & sans me desplaire. Madame, luy dit alors Martesie, je trouve bien qu’il est juste que vous cherissiez la memoire d’Artamene : mais je ne sçay s’il l’est que vous vous haïssiez vous mesme, en vous affligeant demesurément. Je ne sçay, répliqua la Princesse, s’il est juste ; ny mesme s’il est de la bien-seance : mais je sçay bien que je ne sçaurois faire autrement, le n’aurois jamais fait, Seigneur, si je vous redisois tout ce que Mandane dit en cette rencontre : elle se mit au lit sans vouloir manger ; & passa la nuit sans dormir.

Le soir mesme le Roy sçeut la Victoire & la mort d’Artamene, par celuy que Philidaspe avoit envoyé à Sinope pour l’en advertir : ce Prince tesmoigna avoir une douleur extreme, de la perte de mon Maistre : toute la Cour & toute la Ville s’en affligerent ; & l’on eust dit qu’il estoit venu nouvelle que l’on avoit perdu la Bataille, & que tout le Royaume alloit estre renversé. Enfin il n’y eut qu’Aribée seul, qui dans son ame en estoit bien aise, quoy qu’il n’osast pas le tesmoigner : Comme le Roy ignoroit que la Princesse sçeust cet accident, il envoya le luy dire ; & tut luy mesme le lendemain au matin pour s’en consoler avec elle : car il sçavoit bien qu’elle estimoit beaucoup Artamene.