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pour le malheureux Artamene. Je ne suis pas mesme faschée qu’il ait eu de l’affection pour moy : & je ne sçay, adjousta t’elle en souspirant, s’il ressuscitoit, si j’aurois la force de me repentir de ce que je dis : & il tout ce que je pourrois sur moy mesme, ne feroit pas de luy cacher mes sentimens. Ouy, Martesie, poursuivit la Princesse, je m’aperçoy qu’Artamene avoit plus de part en mon cœur que je ne pensois ; & peutestre plus que je ne devois luy en donner. Car enfin je sens que mon ame est troublée ; je sens que la douleur me possede ; & je sens malgré moy que la certitude de sa passion ne m’offence pas. Je sens, adjousta-t’elle encore, que la connoissance de sa condition, mesle quelque secret & foible sentiment de joye à ma douleur : je repasse toute sa vie & toutes ses actions en ma memoire : & contre mon gré, & sans mon consentement, je ne puis m’empescher d’estre en quelque façon bien aise, lors que je trouve en toutes ces choses, des circonstrances qui me confirment ce qu’il ma dit de sa naissance & de son amour. Enfin Martesie, pour ne vous desguiser pas la verité, je pense que comme Artamene m’aimoit beaucoup sans que je le sçeusse avec certitude, je l’aimois aussi un peu sans le sçavoir : & que ce que je nommois estime & reconnoissance, dit-elle en rougissant, ne se devoit peutestre pas apeller ainsi. Je sçay mesme que diverses fois, poursuivit-elle, j’ay souhaité une Couronne à Artamene, sans sçavoir precisément pourquoy je la luy souhaitois : & je sçay de plus, que quelque inquietude que j’eusse, des soupçons que j’avois de sa passion ; je n’eusse peut-estre pas absolument voulu qu’il ne m’eust point aimée. Mais Dieux ! ce qui est