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me dit elle, aprenez moy auparavant que de vous retirer, d’où estoit l’illustre Artamene ; & precisement en quelle condition il estoit nay. Il estoit Prince, Madame, luy dis-je, & s’il eust vescu, il eust sans doute esté Roy d’un grand Royaume. Mais, Madame, c’est tout ce que mon Maistre m’a permis de vous dire de luy : m’ayant expressément deffendu de vous aprendre son Nom. C’en est assez, dit-elle, pour la gloire d’Artamene : & trop, pour le repos de Mandane. A ces mots se sentant encore plus pressée de son desplaisir, elle me congedia ; & demeura seule, avec sa chere Martesie.

Je ne fus pas plustost sorty, à ce qu’elle m’a dit depuis, que luy donnant ce que mon Maistre luy avoit escrit ; Voyez, luy dit-elle, voyez la cause de mon excessive douleur : & considerez, je vous en conjure, si jamais il y eut rien de plus pitoyable, ny de plus surprenant. Martesie obeissant à la Princesse, voulut commencer de lire tout bas, ce qu’elle luy avoit donné : mais Mandate ne le pouvant endurer ; non luy dit elle, Martesie, je veux entendre ce que je n’ay fait que voir confusément ; & ce que j’ay peut-estre mal leû. Martesie se mit donc à lire tout haut : mais Dieux, que cette lecture fut interrompuë de fois ! & qu’Artamene eust esté heureux, s’il eust sçeu les sentimens que Mandane avoit pour luy ! Qui m’eust dit il y a seulement une heure, disoit la Princesse à Martesie, vous recevrez une declaration d’amour sans colere ; vous pleurerez celuy qui vous l’aura faite ; & vous aimerez cherement sa memoire ; ha Martesie ! je ne l’aurois jamais creû. Cependant je suis contrainte de vous advoüer ma foiblesse : & de vous confesser que je ne sens que de la douleur & de la compassion