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donc, dit elle, dans mon Cabinet où je m’en vay, & où vous me l’amenerez, Martesie ayant reçeu cet ordre, me vint querir où elle m’avoit laissé ; & me conduisît aupres de la Princesse, sans que j’eusse la force d’ouvrir la bouche, tant j’estois accablé de douleur. Je ne vy pas plus tost j’illustre Mandane, que malgré moy j’eus le visage tout couvert de larmes : la Princesse me voyant en cet estat, changea de couleur : & prenant la parole la premiere, avec precipitation ; Artamene, me dit-elle, a t’il perdu la Bataille, & nos Ennemis font ils nos Vainqueurs ? Artamene, luy dis-je, Madame, a vaincu vos Ennemis ; a mis de sa main le Roy de Pont dans vos fers ; & a gagné deux Batailles en un mesme jour : Mais Madame, adjoustay-je en redoublant mes pleurs, Artamene a pery à la derniere : & a finy sa vie, en finissant aussi la guerre. Artamene (reprit-elle, avec un ton de voix où la douleur paroissoit sensiblement exprimée) a pery en cette occasion ! Ouy, Madame, luy repliquay-je, & Artamene n’est plus. Voicy (luy dis-je, en luy presentant la Lettre que mon Maistre luy avoit escrite) ce qu’il me donna un peu auparavant que d’aller combattre : & ce qu’il m’ordonna de ne remettre entre vos mains qu’apres sa mort, si elle arrivoit en cette funeste Bataille. A ces mots, la Princesse ne pût retenir ses larmes non plus que moy : elle s’assit aupres d’une Table où il y avoit de la lumiere : & elle s’y plaça de façon, que je ne luy voyois point le visage, parce qu’elle vouloit me cacher ses pleurs. Mais quoy qu’elle peust faire, je ne laissay pas de m’apercevoir malgré mon affliction, que la sienne n’estoit pas mediocre. Je dois tant de choses à Artamene (