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Seigneur, nous ne doutasmes point que nostre cher Maistre n’eust pery : principalement apres que nous eusmes visité fort exactement, & fort inutilement tout ensemble, les deux costez de cette riviere, la longueur de plusieurs stades (car je la passay à la nage) & principalement encore, quand nous fusmes retournez au Camp, avec ces tristes & funestes marques de la perte d’Artamene : & que nous eusmes sçeu, que le Heraut que l’on avoit envoyé vers le Roy de Phrigie estoit revenu, sans en avoir apris aucunes nouvelles. A ce redoublement d’affliction, nous recourusmes Chrisante & moy une seconde fois, tout le long de ces funestes rivages qui nous firent tant verser de larmes : Nous suivismes ces bords beaucoup plus loing qu’il n’estoit vray-semblable que ces vagues eussent pû porter le corps de nostre cher Maistre : & comme cette riviere se jette dans la mer assez prés de là, nous creusmes qu’elle auroit jetté avec elle le corps d’Artamene dans ces Abismes. Enfin, Seigneur, nous retournasmes une autre fois au Camp tous desesperez : nous creusmes absolument qu’il estoit mort, & toute l’Armée le creut comme nous. Jamais jour de victoire ne fut si triste que celuy-là : & la perte de vingt Batailles n’auroit pû causer une constrernation esgale à celle que l’on voyoit dans toutes nos Troupes. Tout le monde soupiroit, tout le monde gemissoit : & les Capitaines avoient beaucoup de peine à retenir les Soldats, & à les empescher de se desbander. Ils s’imaginoient presque que tous ces morts dont le Champ de Bataille estoit couvert, alloient ressusciter pour leur arracher d’entre les mains les Lauriers qu’ils avoient r’emportez : & ils publioient hautement qu’il n’y avoit plus d’esperance