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luy dismes nous tout à la fois Chrisante & moy) helas ! mes Amis, que nous en pouvez vous aprendre ? Nous le vismes hier au soir fort tard, me respondit le Soldat qui avoit desja parlé, poursuivre le Roy de Phrigie, qui se retiroit en combattant : mais comme ils passerent aupres de nous, nous connusmes qu’Artamene estoit blessé, bien que le jour fust prest de finir, car nous vismes sa Cotte d’armes toute sanglante. Nous estions, comme vous le voyez, couverts des buttions qui nous environnent, & qui nous desroberent à la veuë de ceux du Party contraire. Le Roy de Phrigie avoit gagné le devant d’assez loing : mais nous eusmes beau crier : car de tous ceux qui suivoient Artamene, aucun ne s’arresta pour nous secourir : & nous vismes qu’environ à l’endroit que je vous ay marqué, il se fit encore un grand combat : où, si je ne me trompe, je vy tomber l’illustre Artamene. Du moins fuis-je bien assuré, que je ne vy personne demeurer debout, que quelques-uns qui passerent la riviere à la nage, entre lesquels je suis certain qu’Artamene n’estoit pas. Ce Soldat n’eut pas si toit achevé de parler, que Chrisante & moy commençasmes de courir, vers le lieu qu’il nous avoit monstrré, avec un redoublement de crainte que je ne vous puis exprimer : & je pense que nous eussions abandonné ces deux pauvres Soldats sans les secourir, n’eust esté que nous vismes paroistre quelques-uns des nostres, entre les mains desquels nous les remismes pour en avoir soing. Cependant, Seigneur, nous arrivasmes sur le bord de cette riviere, qui est celle de Sangar, qui separe le Royaume de Pont de celuy de Bythinie. Comme nous y fusmes, nous vismes que toutes ses rives estoient couvertes de morts : il y avoit un