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demeura dans une inquietude eſtrange. Il connoiſſoit par les reſponses de cette Fille, quoy qu’elle euſt tout nié, qu’il y avoit un ſecret dans cette affaire qu’elle ne vouloir pas dire : les paroles de Mazare, & de Mazare mourant, eſtoient trop intelligibles : ce Portrait de Mandane luy ſembloit une choſe convainquante : le ſejour caché de Marteſie chez Artucas ces frequentes viſites de Feraulas & de Chriſante ; le voyage d’Ortalque à Pterie ; & cent autres choſes dont il ſe ſouvenoit, luy perſuadoient touſjours plus fortement qu’Artamene eſtoit tres coupable : & l’impoſſibilité qu’il trouvoit a sçavoir ſa veritable condition, le confirmoit touſjours d’avantage dans la croyance qu’il avoit qu’il eſtoit d’une Naiſſance tres baſſe. Ce n’eſt pas que le conſiderant quelquefois malgré luy, comme cét homme illuſtre & extraordinaire à qui il devoit la vie ; qui avoit tant gagné de Batailles ; qui avoit ſousmis tant de Rois ; & qui venoit de renverſer un ſi grand Empire ; il ne s’eſtonnast un peu de l’obſcurité de ſa Naiſſance : mais enfin ne pouvant comprendre le ſecret qu’Artamene en faiſoit luy meſme ; il concluoit touſjours qu’il falloit infailliblement qu’il fuſt ſi peu de choſe qu’il n’euſt pas la hardieſſe de l’advoüer. De ſorte que paſſant de cette penſée en une autre, Quoy, diſoit il, Mandane ſortie de tant d’illuſtres Rois, & qui doit elle meſme regner un jour ſur tant de Peuples & ſur tant de Royaumes, a pû ſe reſoudre de ſouffrir qu’un Inconnu euſt l’audace de l’entretenir d’une paſſion criminelle ! Ha non non, il faut punir Artamene, & de ſa temerité, & de la foibleſſe de Mandane tout enſemble : en attendant que je la puiſſe tenir en mes mains, pour la punir a ſon tour de ſon propre crime, & de celuy d’Artamene.