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qui le r’emportoit avec elle : car ſelon le vent qu’il faiſoit, il changeoit de place & de route. Il eſtoit ſi proche de Philoxipe, qu’il entendoit la voix de Policrite ſans luy pouvoir reſpondre, tant la violence avec laquelle il nageoit l’avoit mis hors d’haleine. Seigneur, luy diſoit elle, laiſſez moy perir, retournez vous en au rivage, & ne vous obſtinez pas à me ſuivre inutilement. je vous laiſſe à penſer ſi un commandement ſi obligeant, n’obligeoit pas Philoxipe à redoubler ſes efforts : Enfin, Seigneur, apres que plus d’une fois Solon eut veû des vagues s’eſlever aſſez pour renverſer ce Bateau, & pour engloutir Philoxipe, qui ne pouvoit preſque plus y reſister : un gros d’eau ayant pouſſé cette petite Barque vers ce Prince, il fut ſi heureux qu’il prit un bout de corde avec laquelle elle avoit eſté attachée au bord de la Mer. Conſiderez, Seigneur, quelle fut alors la joye de Philoxipe ; celle de Policrite, de Solon ; de Megiſto ; de Doride : & des autres Femmes qui eſtoient ſur le rivage. Ils en pouſſerent tous des cris d’allegreſſe : il n’eſtoit pourtant pas encore temps de ſe reſjouïr : car bi ? qu’il ne ſoit pas difficile de conduire un Bateau qui flote ; neantmoins Philoxipe eſtoit ſi las, qu’il y eut lieu de deſesperer qu’il peuſt achever heureuſemêt, ce qu’il avoit ſi bien cômencé, & qu’il peuſt r’amener cét Eſquif à bord. En effet, on le vit plonger deux fois malgré luy, ſans abandonner pourtant jamais la corde qu’il tenoit ! je vous laiſſe à juger Seigneur, quelle douleur eſtoit celle de Policrite en ces fâcheux inſtans : & de combien de larmes elle paya la peine qu’il avoit pour la vouloir ſauver. L’on voyoit pourtant cét amoureux Prince, vouloir faire deux choſes toutes oppoſées :