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toute ſeule dans un petit Bateau ſans Rames & ſans Gouvernail ; qui ne sçachant que faire, s’eſtoit miſe à genoux pour prier les Dieux. Car encore que la Mer ne fuſt pas fort eſmuë, elle l’eſtoit toutefois un peu : joint que comme les Rochers repouſſoient les vagues avec impetuoſité en cét endroit, & qu’il faiſoit un peu de vent du coſté de la Terre, ce Bateau s’eſloignoit toujours davantage. Philoxipe voyant donc Policrite en ſi grand danger, & ne voyant point de Bateau pour s’en pouvoir ſervir, deſcendit de cheval en diligence : & quittant tout ce qui euſt pû rembarraſſer, il ſe jetta à l’eau pour aller droit à Policrite. De ſorte, Seigneur, que lors que Solon qui venoit un peu derriere arriva ſur le bord de la Mer, il vous eſt aiſé de juger que ſa ſurprise fut grande : de voir Megiſto toute en larmes ; Policrite ſeule dans un Bateau que les vagues portoient vers la pleine Mer ; & Philoxipe nageant vers Policrite. Mais qui en eſtoit encore ſi eſloigné, qu’il y avoit lieu de croire, que le Bateau allant touſjours, la force luy manqueroit auparavant qu’il le peuſt joindre ; & qu’il auroit le deſplaisir de voir perir devant luy, & ſa chere Fille, & un Prince qu’il n’aimoit pas avec moins de tendreſſe qu’elle. De vous dire auſſi quel eſtonnement fut celuy de Megiſto, de voir Philoxipe ſe jetter à l’eau, & un moment apres Solon arriver où elle eſtoit, c’eſt ce qui n’eſt pas aiſé à faire. De vous dépaindre non plus ce que penſa Policrite, lors qu’elle reconnut Philoxipe, & qu’elle le vit en un danger ſi grand pour l’amour d’elle il ne ſeroit pas non plus bien facile de vous le faire comprendre. Cette illuſtre Perſonne nous a pourtant dit depuis, qu’elle ne l’eut pas pluſtost reconnu, que ſes vœux changerent d’objet : & que ceſſant de ſonger à ſon