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ma Fille entre les mains d’une Sœur que j’aimois beaucoup, qui eſtoit mariée à Corinthe, & qui m’eſtoit venuë voir : confiant à elle ſeule & à ſon Mary le ſecret qu’Epimenides m’avoit tant recommandé.

je ne m’arreſteray point à vous dire que je perdis bientoſt apres ma Femme, & que j’en eus une douleur extréme : je ne vous entretiendray pas non plus des deſordres d’Athenes, qui ſont trop connus pour eſtre ignorez de quelqu’un : ny des ſolicitations que l’on me fit d’accepter la Souveraine Puiſſance ; en me faiſant ſouvenir qu’il y avoit eu des Rois dans ma Race : & qu’un homme deſcendu de l’illuſtre Codrus, pouvoit accepter le Sceptre ſans ſcrupule. Ny avec quelle fermeté je rejettay ceux qui me faiſoient une proportion injuſte, ſuivant les Predictions d’Epimenides. je ne vous rediray pas non plus, quelles furent les Loix que j’eſtablis : vous les sçavez, & n’ignorez pas comment elles furent reçeuës : ny la reſolution que je pris de quitter ma Patrie pour dix ans, afin de n’y changer plus rien, & de laiſſer au Peuple le loiſir de s’y accouſtumer. Mais je vous diray qu’eſtant preſt à me bannir volontairement de la Grece, & n’ayant pas oublié ce qu’Epimenides m’avoit dit, j’aborday à Corinthe ſans eſtre connu : où je dis à ma Sœur que j’eſtois obligé de laiſſer ma Fille en une Iſle, tant que mon exil dureroit. Cette vertueuſe Perſonne qui ne l’aimoit pas moins qu’une Fille qu’elle avoit auſſi ; avoit eſpousé un homme de qui la vertu eſtoit extraordinaire, & qui depuis longtemps menoit une vie fort retirée ; de ſorte qu’elle luy perſuada aiſément de n’abandonner point ma Fille : qui effectivement me parut la plus belle Enfant que je vy jamais. je conſultay meſme les Dieux ſur le deſſein que j’avois,