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la mort ou des nouvelles de Policrite : car l’une ou l’autre eſtoient l’objet de toutes ſes penſèes, & le terme de tous ſes deſirs. Le Printemps meſme, qui ſemble inſpirer la joye à toute la Nature, n’apporta point de changement à ſon humeur : & il regarda rougir les Roſes de ſes Jardins, avec le meſme chagrin qu’il avoit veû blâchir ſes Parterres de neige durant l’Hyuer. Ceux qui obſervoient l’Eſclave de Cleanthe, luy aprirent un matin qu’il eſtoit mort ſubitement : cette fâcheuſe nouvelle redoubla encore ſes déplaiſirs : tant parce que tout ce qui apartenoit à Policrite luy eſtoit fort conſiderable, & que cét Eſclave luy avoit paru digne d’un ſort plus heureux ; que parce qu’il perdoit en le perdant, preſque toute l’eſperance qu’il luy reſtoit de pouvoir découvrir où eſtoit Policrite. Il ne laiſſa pas pourtant de faire continuer encore quelque temps de prendre garde s’il ne viendroit perſonne à cette Cabane deſerte : mais enfin ſe laſſant de laſſer ſes Gens, il les diſpensa d’une peine ſi inutile : & abandonna abſolument ſa fortune à la conduitte des Dieux.

Un jour donc, comme il eſtoit en une humeur ſi ſombre, Solon arriva à Clarie : un Nom qui luy eſtoit ſi cher, luy donna d’abord beaucoup d’émotion de joye : Mais venant à conſiderer combien il eſtoit changé depuis qu’il ne l’avoit veû ; & quelle confuſion il auroit s’il faloit luy adjoüer ſa foibleſſe ; quoy qu’il sçeuſt bien que l’amour honneſte n’eſtoit pas une paſſion dont Solon fuſt ennemi declaré, cette joye en fut un peu moderée. Il fut pourtant au devant de luy, avec beaucoup d’empreſſement : mais comme la triſtesse s’eſtoit puiſſamment emparée de ſon cœur & de ſes yeux, la ſatisfaction qu’il avoit de revoir l’illuſtre