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fidelle : & une fort mauvaiſe invention d’obliger une Princeſſe à aimer celuy qui la traite de cette ſorte. Quoy, Madame, repliqua le Roy, la compaſſion que j’ay euë pour Philoxipe me deſtruira dans voſtre eſprit ! Moy, dis-je, qui ay ſouffert un ſupplice effroyable, auparavant que de me reſoudre d’avoir de la pitié pour luy. Moy qui ne vous cedois, que parce que je ne pouvois vous abandonner ; & qui ſentois que la mort de Philoxipe avançoit la mienne. Si vous euſſiez plus aimé Aretaphile, repliqua cette Princeſſe, que vous n’aimiez Philoxipe, vous vous fuſſiez pleint de ſon malheur & du voſtre : vous euſſiez taſché de le guerir par l’abſence, & par cent autres voyes : & tout au plus, vous ne l’euſſiez pas haï ; vous euſſiez pleuré ſa mort quand elle fuſt arrivée ; & vous vous en ſeriez conſolé, par la ſeule veüe d’Aretaphile. Mais parce que vous aimez plus Philoxipe qu’Aretaphile, vous vous reſoluez aiſément à ſa perte. Cependant, Seigneur, vous n’avez pû ceder à Philoxipe, que la part que vous aviez dans ſon ame : qui n’eſtoit peut-eſtre pas telle que vous la croiyez. Ha ! inhumaine Princeſſe, reprit le Roy, ne me deſesperez pas : & sçachez qu’en vous cedant à Philoxipe, je m’eſtois reſolu à mourir. Peut-eſtre, Seigneur, repliqua t’elle, ſi j’avois la foibleſſe de vous eſcouter favorablement aujourd’huy ; qu’à la premiere occaſion qui s’en preſenteroit ; & qu’au premier ſoubçon que vous auriez que quelqu’un ne me haïſt pas, vous viendriez encore me conjurer de guerir ſon mal. Non non, Seigneur, adjouſta t’elle avec un viſage plus ſerieux, vous ne m’avez jamais aimée, & vous ne sçavez point aimer : l’amour eſt quelque choſe au deſſus de la raiſon & de la generoſité, qui a ſes reigles à part : l’on peut